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"La Mauritanie, le Covid-19 et le développement"

lundi 1er juin 2020


Avec son regard d’entrepreneur et de citoyen libre de toutes les chapelles politiques, Mory Guéta Cissé, banquier et opérateur touristique, fait un tour d’horizon de la Mauritanie, à la lumière de la pandémie mondiale du covid-19 et des perspectives de développement économique et social. Entretien.

Comment avez-vous vécu le 1er Mai, fête du Travail en cette période de couvre- feu du au COVID-19 ?

Pandémie exige, ce premier mai a été célébrée dans le recueillement et la prière pour conjurer le sort de ce coronavirus qui fait des ravages à travers le monde ; notre pays malgré tous les efforts déployés n’échappe pas à cette angoisse planétaire à laquelle les plus puissants sont les plus exposés

Il faut reconnaitre que la pandémie est arrivée juste après que le Ministère de la Santé ait fini la réorganisation générale de son département par un assainissement de ses structures, ce qui a facilité la prise en charge rapide des premiers malades et le maillage de nos frontières et a permis un meilleur contrôle des entrées malgré le fait que notre pays est une zone de transit pour la diaspora sénégalaise gambienne et malienne empruntant la voie terrestre pour atteindre leurs pays respectifs.

En ce qui concerne les droits des travailleurs, il faut reconnaitre une nette amélioration de leur situation par rapport à un passé tout récent où les entreprises étrangères dictaient leurs propres lois en violation des dispositions du Code du Travail, soutenues qu’elles étaient en cela par une administration quelque peu complaisante à leur égard. On a l’impression aujourd’hui qu’une ère nouvelle s’amorce par rapport à des décisions que certaines sociétés jadis toutes puissantes devant leurs personnels sont obligées de revoir dans le respect des dispositions en vigueur.

Les syndicats ont été fermes et le Gouvernement en cette période est catégorique pour que les travailleurs ne soient pas impactés par la situation actuelle pour éviter des dérives incontrôlables en attendant une étude exhaustive de la situation afin que les mesures idoines appropriées soient prises en fonction de l’évolution de cette déplorable situation.

Par la grâce d’Allah, les mesures préventives qui ont été prises en temps opportun ont permis de maitriser la situation avec le support d’une communication à bon escient envers les populations pour mieux les informer et les mettre devant leurs responsabilités individuelles et collectives dans cette terre d’islam où la sunna est source de loi.

Les ministres de la Santé et de l’Intérieur ainsi que leurs personnels respectifs ont joué pleinement leurs partitions pour nous valoir les résultats honorables enregistrés à ce stade et nous espérons que les dispositifs mis en place contribueront à la satisfaction des nouveaux objectifs

La fermeture des écoles et universités pour éviter la propagation de la pandémie en milieu scolaire et universitaire a mis en exergue le grand fossé de la rupture numérique car seul à Nouakchott le téléenseignement a pu être mis en place dans les instituts de formation supérieure pour la continuité de l’enseignement à distance en faveur des étudiants

Par ailleurs, il sera nécessaire que la dynamique de bonne gouvernance constatée face à cette pandémie et soutenue par un engagement citoyen, patriotique et solidaire soit renforcée pour mieux faire face aux impacts négatifs du COVID-19 sur notre économie, car le post COVID-19 sera très dur et cette nouvelle donne doit être prise en compte et intégrée dans les politiques publiques sachant que la réalisation des importants projets gaziers et pétroliers sur lesquels tout le peuple fonde beaucoup d’espoir, connaitra sans nul doute un retard important qui pourrait impacter significativement les prévision de recettes et les projections de croissance

Qu’en est-il des mauritaniens impactés par cette pandémie ?

Le mauritanien a peur du gendarme et nous sommes un peuple respectueux de l’ordre surtout militaire pour avoir été formaté par l’ordre militaire durant leurs années de règne ; c’est dire qu’en peuple discipliné ayant peur à juste titre de la mort, toutes les consignes de sécurité ont été strictement observées et la fermeture des écoles aidant beaucoup de familles se sont installées en campagne où les risques de contagion sont plus infimes

L’activité économique a été certes quelque peu ralentie mais toutes les sociétés ainsi que l’Administration ont continué le travail en se conformant aux recommandations des autorités médicales et sanitaires et en respectant les consignes relatives aux gestes barrières à observer.

Notre tissu industriel n’est pas impacté au niveau de sa production journalière en ce sens que les mines de fer, de cuivre et d’or ainsi que la pêche industrielle continuent à produire et l’acheminement de la production aux lieux de stockage est garanti, le hic se situe au niveau de la livraison car le fret maritime et aérien pour l’or est à l’arrêt et la production de nos industries légères (lait, riz, etc….) ne couvrent pas la totalité de nos besoins ce qui explique nos fortes importations dont une bonne partie est reversées sur les marchés sous-régionaux

Le tourisme, maillon faible de notre économie, est largement impacté avec les secteurs de la restauration, des loisirs et spectacles ainsi que le transport interurbain et jusqu’ici aucune mesure ne semble avoir été prise pour des subventions compensatoires en faveur des uns et des autres alors que beaucoup d’hôtels requisitionés pour héberger les divers confinés vont devoir engager de lourds investissements pour la rénovation de leurs outils de production.

S’agissant des activités relevant de l’informel, un net ralentissement s’était opéré avec une reprise progressive dès l’annonce du Zéro cas positif, un élan de solidarité nationale s’est promptement manifesté ce qui a permis de distribuer des vivres aux populations nécessiteuses avec des tickets pour des livraisons de poissons et de viande en plus des produits de première nécessité.

Les distributions aux réels ayant droits ont été faites avant le début du mois béni du Ramadan sur l’ensemble du territoire national dans le strict respect des règles d’hygiène et de salubrité par rapport aux consignes de barrières sanitaires pour se préserver et préserver la vie des autres contre COVID’19 sous la supervision sans faille des forces de défense et de sécurité

Aujourd’hui les véritables impactés sont les anciens travailleurs de l’administration publique et du secteur privé admis à faire valoir leurs droits à une pension de retraite dont les virements trimestriels sont inférieurs pour la plupart au SMIC mensuel des employés en service quel que soit le montant de leurs émoluments pendant leurs états de service car les textes de la CNSS n’ont jamais été réactualisés et les taux des contributions patronales et salariales sont restés inchangées depuis la création de la CNSS et , il urge que cette anomalie soit corrigée.

Cette catégorie sociale ignorée par les pouvoirs publics fait pourtant l’objet de beaucoup d’attention dans tous les autres pays qui leur vouent respect et considération et paient leurs pensions sur une base mensuelle et non trimestrielle avec tous les avantages dus aux personnes du troisième âge et une indexation de leurs droits en fonction de l’inflation et du coût de la vie.

Du fait des conséquences du COVID-19 des Etats africains et l’Union Africaine avec l’aide de quelques pays européens amis, demandent l’annulation de la dette africaine mais n’ont obtenu pour le moment qu’un report d’échéances et un glissement vers 2021, quel est votre sentiment à ce sujet ?

Ma conviction est qu’une dette doit être remboursée à terme échu et qu’en cas de difficulté conjoncturelle un réaménagement pouvant aller jusqu’au gel peut être envisagé en attendant des jours meilleurs car à l’impossible nul n’est tenu. Nos dirigeants doivent arrêter d’être des mendiants de l’Elysée prompts à recourir à l’intervention de la France pour annuler les dettes alors qu’ils sont incapables d’ordonner à leurs banques locales d’annuler les dettes des ménages et des sociétés en difficulté de payement

Nous ne devons- nous en prendre qu’à nous-mêmes si les fonds représentant nos dettes actuelles sont constitués pour la plupart de crédits que les bailleurs ont consentis avec des recommandations fermes d’octroyer les marchés y relatifs à leurs entreprises européennes dont ils assurent ainsi le financement.

Demander l’annulation de la dette signifie que les crédits octroyés ne reposaient pas sur des études objectives, que les fonds décaissés n’ont pas été utilisé à bon escient ou qu’ils n’ont pas servi au projet car les retombées auraient été significatives pour pouvoir générer des revenus subséquents pour en assurer le remboursement.

De plus l’Union Africaine compte en son sein assez d’éminents experts économistes et financiers pouvant mener à bien des négociations directes avec les bailleurs de fonds sur la question de la dette africaine sous la direction de la commission des ministères des finances et des affaires économiques des différents états pour que, sans préparation ni consultation préalables cela ne soit pas le Président Cyril Ramaphosa de désigner ses 4 experts pour négocier l’annulation de la dette africaine à cause de l’impact de la pandémie de Covid -19 sur les économies africaines ; ce qui me semble malgré le respect dû à son rang une pratique d’un autre temps

Les observateurs se plaignent d’un certain immobilisme en Mauritanie ?

Dans une précédente rubrique je dénonçais l’impatience de mes compatriotes, leur désinvolture, le peu de considération accordé à certaines choses « MAHOU MOUHIM » alors que le détail peut être tout aussi important. Tous ont plébiscité Mohamed Ould Ahmed El Ghazouani lors de son élection à la magistrature suprême, s’attendant à une brusque rupture par rapport aux pratiques antérieures mais le gardien du palais brun a son propre agenda.

La rupture souhaitée est de l’avis de tous très lente à venir même si des progrès sont enregistrés çà et là mais nous demandons toujours plus et tout, immédiatement d’autant que certains ne comprennent pas que le même entourage des proches de l’ancien Président Aziz soit reconduit dans le premier gouvernement du nouveau Président élu alors que tout le monde s’attendait à de nouveaux hommes pour une nouvelle politique pour un nouveau Président plus visionnaire avec des engagements de campagne très précis.

Tous admettent que la Mauritanie dispose de filles et de fils bien formés de toutes les ethnies et conditions sociales, animés d’une volonté patriotique et d’un engagement citoyen pour servir -leur pays et disposant de qualités morales et intellectuelles suffisantes pour ce faire alors que les Présidents qui se sont succédés, utilisent toujours le même vivier tribalo- affairiste que le Président TAYA en faisant tourner les mêmes hommes issus de sa clientèle politique avec les résultats que nous connaissons, les mêmes pratiques gabégistes commencent à se répéter dans certaines structures de l’Etat même en cette période de pandémie .

Je ne veux pas dire que les choses n’avancent pas mais on pourrait faire mieux avec des femmes et des hommes de valeur non compromis et dont les noms ne sont entachés d’aucune tare et, quoiqu’on dise le Président, dès qu’il s’installe, devient le personnage le plus informé sur les affaires de la République : il peut disposer de tous les renseignements à travers les différents centres opérationnels et de collecte et un simple coup d’œil sur la balance des opérations permet à tout un chacun de connaitre toutes les entrées et sorties de devises via les bureaux de changes, les banques primaires ou la BCM. 

Il n’y a pas plus grande humiliation et déshonneur pour un cadre supérieur ou même pour une personne lambda que de reconnaitre son manque de conviction et de civisme par rapport à la chose publique pour s’inféoder à un homme pour en devenir complice et contribuer à saborder les intérêts et les ressources du peuple souverain.

Les récentes déclarations de certains cadres et responsables devant la Commission d’Enquête Parlementaire dont la presse s’est fait l’écho devraient normalement entrainer un recadrage et un nouveau centrage de l’attelage gouvernementale mais je suis convaincu que des cartons rouges seront distribués et que cet exercice ne saurait tarder avec la fin de la guerre contre COVID-19 que nous souhaitons la plus proche possible pour que le Président n’ait pas à gérer 2 délicates situations en même temps.

Il y a eu une erreur de casting au départ mais je suis convaincu que compte tenu de la manière dont les choses ont évolué, les ajustements nécessaires seront opérés pour que Le Président Ghazouani puisse honorer ses engagements de campagne avec une équipe de cadres patriotes ambitieux pour leur pays et mus par le seul intérêt du peuple en dehors de toute inféodation à un homme ou à un parti dont les cadres et militants ne bénéficient d’aucune formation idéologique qui pourrait être en plus de leur cursus académique et parcours professionnel le critère de leur sélection à des postes de responsabilité au niveau gouvernemental car si la compétence prévaut dans les nominations, le dosage tribal, ethnique ou régional ne se justifie pas et ne peut plus faire l’objet de contestations subjectives.

Des rumeurs persistantes circulent à propos de malversations commises par le Président Aziz au cours de ses 10 ans de magistrature suprême quel est votre avis à ce sujet ?
Les colombes et les faucons des 2 côtés ainsi que leurs inconditionnels ont mal géré la situation lors de la période de transition car le Président Ghazouani a tout de suite pris connaissance de la gravité de la situation et des analyses plus fines en toute discrétion pouvaient lui donner une idée exacte de l’ampleur des dégâts et, fort de ces informations faire engager des négociations pour calmer le jeu et essayer de recouvrer tout ou partie des éventuels biens spoliés.

Alors qu’Aziz convaincu en la confiance aveugle en ses hommes et en leur loyauté et, ignorant les informations dont peut disposer un président occupant désormais sa place a commis des impairs en oubliant l’adage « le roi est mort vive le roi » ; de plus nul ne lui pardonne le fait de déclarer être riche dans un pays de pauvres où les hommes les plus riches continuent pourtant à habiter leurs premières maisons dans les quartiers populaires et à partager leurs repas avec le premier qui passe par la porte de leurs demeures.

De plus le peuple ne l’a pas entendu ni vu son soutien moral ou financier malgré la fortune dont il se prévaut à Nouakchott ni dans l’Inchiri encore moins dans sa ferme près d’un village du Walo malgré l’élan de solidarité nationale que requiert la lutte contre la pandémie du covid-19 en ce mois béni du ramadan, un mois de prières et de recueillement mais également de solidarité et de partage.

Non je ne crois à une tribalisation du dossier car il ne s’agit pas d’un conflit intertribal mais d’une question d’Etat de droit et de bonne gouvernance et l’intéressé lui-même n’accepterait pas pour avoir refusé au cours de son premier mandat l’intervention des dignitaires de cette riche et respectable tribu des Oulad BSBAI dans le conflit qui l’opposait à son cousin et premier soutien dans un conflit interne qui a valu à ce dernier un exil forcé de près de 10 ans,

Par contre il est possible que certaines bonnes volontés de sa tribu, en parfaite connaissance du dossier et en collaboration avec d’autres dignitaires du pays, intercèdent en sa faveur auprès de l’Etat pour une juste diligente résolution du dossier, ceci étant à mon avis la seule voie acceptable pour l’Etat qui ne peut pas se laisser divertir par des chantages à caractère tribal ou ethnique.

Qu’en sera-t-il alors de cette commission d’enquête parlementaire ?

Je pense que nul n’a intérêt à ce que la situation continue à pourrir davantage et on n’humilie pas un ancien chef d’Etat qui continue à vouloir vivre parmi nous, j’ai la ferme conviction que tout le monde finira par entendre raison et les choses rentreront dans l’ordre et force restera à la loi

La présomption d’innocence doit être accordée au Président Aziz d’autant qu’il n’est pas impossible que certaines choses qu’on voudrait lui reprocher ne soient pas de son ressort mais du fait de collaborateurs zélés ce qui se comprend fort bien chez nous où le boy du chef, son chauffeur, son cuisinier et blanchisseur sont aussi des chefs, par ailleurs, il n’est pas interdit à un citoyen d’avoir des propriétés encore faudrait-il que ses propriétés qu’on lui prête soient à son nom de plus, certaines responsabilités sont partagées car le Parlement doit en principe toujours ratifier certains accords dont les cessions à des tiers du foncier bâti de l’Etat.

Ce n’est un secret pour personne que ceux qui le vouent aujourd’hui aux gémonies sont ceux qui hier seulement le portaient aux sommets et ont développé en lui ces désirs insatiables de pouvoirs qu’on lui prête ; sachons raison garder d’autant que le Président Aziz a fait au cours de son magistère des réalisations qui peuvent lui valoir le pardon et la reconnaissance du peuple et comme le dit l’adage populaire Wolof la longévité d’un compagnonnage est le corollaire d’une reconnaissance et de la fidélité dans le parcours commun.

Nos honorables parlementaires devaient être anesthésiés pour n’avoir jamais vu ni entendu ce que les blogueurs, les journaux et l’opposition ont toujours dénoncé au cours des deux dernières législatures pour ne penser à mettre en place une commission d’enquête qu’après le départ de leur ancienne idole.

Je déplore les fuites volontaires ou non des éléments d’audition de la commission d’enquête qui sont diffusés dans la presse alors que la Commission en toute responsabilité et confidentialité devrait garder la primeur des informations collectées à la commission juridique et à la plénière de notre auguste Parlement qui l’a mandaté pour faire preuve de maturité et de responsabilité qui sied à leur rang et statut.

La pertinence d’un homme politique réside dans sa capacité d’analyse, d’anticipation et de flair pour prendre les devants et exploiter et tourner à son avantage les critiques de son opposition pour clore définitivement certains dossiers.

A titre d’exemple, au Sénégal si Wade père bénéficiant d’une large majorité mécanique à l’Assemblée Nationale, avait accepté que son fils se présente devant le parlement pour expliquer sa gestion du budget de la Conférence Islamique comme Macky Sall Président de cette assemblée et responsable du même parti politique l’y invitait, le cours de l’histoire aurait changé ; mais Wade père, malgré toute son expérience politique et sous la pression de ses soutiens inconditionnels, a considéré cette convocation de son fils comme un crime de lèse-majesté, agissant selon sa passion et non sa raison d’où les conséquences qui s’en ont suivi. « POWER CORRUPT, ABSOLUTE POWER CORRUPT ABSOLUTELY » Nos dirigeants ont commis les mêmes erreurs que nos voisins pour n’avoir pas pu tirer les leçons qui s’offraient à eux.

En s’inspirant de la Sunna et du génie créateur de notre peuple, avec un esprit de dépassement d’humilité et de patriotisme, le Président Ghazouani pourra dans la paix et la quiétude faire ses réajustements et travailler en toute tranquillité pour l’intérêt du peuple mauritanien qui l’a élu et qui attend le respect de ses engagements pour enrayer la pauvreté, par une juste et équitable redistribution des produits de nos ressources naturelles , assurer une bonne et inclusive scolarité pour tous nos enfants et nous prodiguer des soins de santé à la hauteur de nos attentes pour une amélioration de notre niveau de vie, en parfaite adéquation avec les potentialités que nous offrent les ressources naturelles dans nos eaux et notre sous- sol.

Ainsi et seulement ainsi et, par la grâce d’ALLAH SWT le Président Ghazouani pourra accomplir sa mission et honorer le serment qu’il a pris devant Allah swt et le peuple mauritanien souverain.

Source : FinancialAfrik