Accueil > Actualités > Economie > Le spectre de la crise alimentaire dans des pays pauvres déjà en danger de (…)
Le spectre de la crise alimentaire dans des pays pauvres déjà en danger de surendettement
mercredi 30 novembre 2022
La guerre en Ukraine pourrait bientôt porter un coup sévère à de nombreux pays défavorisés dans le monde : les plus menacés par une crise de la dette se retrouvent aujourd’hui face à la menace d’une crise alimentaire.
Selon les dernières données de la Banque mondiale, le coût des importations de denrées augmente plus fortement pour les pays pauvres, déjà en situation de surendettement ou risquant fortement de l’être. Au cours de la prochaine année, la facture des importations de blé, de riz et de maïs dans ces pays devrait bondir et représenter plus de 1 % du PIB. Soit plus du double de la hausse pour 2021-22 et, compte tenu de la taille relativement modeste de ces économies, une augmentation deux fois supérieure aux prévisions pour les pays à revenu intermédiaire.
Sept pays actuellement exposés à un fort risquent de surendettement, ou déjà surendettés, risquent de cumuler crise alimentaire avec crise de la dette : l’Afghanistan, l’Érythrée, la Mauritanie, la Somalie, le Soudan, le Tadjikistan et le Yémen. Mais plusieurs pays à revenu intermédiaire sont également concernés, dont un certain nombre (a) déjà en proie à une crise simultanée des prix alimentaires et de l’endettement.
Même lorsqu’elle survient seule, une crise alimentaire est dévastatrice : celle de 2008 (a), par exemple, a fortement aggravé la malnutrition, en particulier chez les enfants. Dans les pays pauvres, elle a incité les ménages à se séparer de biens précieux pour pouvoir se procurer de la nourriture. Elle a poussé les familles les plus démunies à retirer leurs enfants de l’école, faisant grimper le taux de décrochage scolaire jusqu’à 50 % chez les élèves issus de ces ménages. Mais lorsqu’une crise alimentaire coïncide avec une crise de la dette, les effets sont amplifiés : le poids de la dette paralyse l’action publique, et l’aide internationale s’impose comme seule issue .
Les économies les plus pauvres, en Afrique notamment, sont éminemment tributaires des importations alimentaires en provenance de Russie et d’Ukraine. Pour 25 pays africains, dont certains comptant parmi les plus pauvres du monde, au moins un tiers du blé (a) importé provient de ces deux pays ; pour 15 d’entre eux, cette proportion dépasse les 50 %. Les possibilités à court terme de s’approvisionner localement sont rares : l’offre régionale est relativement faible et, en tout état de cause, les infrastructures de transport et les capacités de stockage restent limitées.
En outre, la dette de ces pays constitue un fardeau qui s’alourdissait bien avant même la survenue de la pandémie de COVID-19. Fin 2020, le montant de leur dette publique ou garantie par l’État contractée auprès de créanciers étrangers atteignait le chiffre record de 123,8 milliards de dollars (a), soit une hausse de près de 75 % par rapport à 2010. Le service de la dette représente désormais pour ces pays près de 10 % de leurs recettes d’exportation, contre moins de 4 % il y a dix ans.
Ces pays étaient déjà démunis pour faire face au choc de la COVID-19, précipitant le surendettement de nombre d’entre eux. Compte tenu des milliards de dollars qu’ils devront verser cette année au titre du service de leur dette extérieure publique ou garantie par l’État, leur capacité à endiguer une crise alimentaire imminente sera quasi nulle. Ils devront se tourner vers l’aide étrangère.
La première mesure à prendre est d’amplifier l’aide d’urgence aux pays à risque. Au cours des 15 prochains mois, le Groupe de la Banque mondiale débloquera jusqu’à 30 milliards de dollars dans le but d’accroître la sécurité alimentaire dans les économies en développement. Les dirigeants des pays du G7 se sont par ailleurs engagés à consacrer 4,5 milliards de dollars (a) à ce même objectif. Les fonds internationaux devront bénéficier aux personnes en danger immédiat, grâce à des transferts monétaires qui ciblent les ménages les plus vulnérables avec efficacité et à moindre coût. Ils doivent également permettre aux pays à risque de réaliser les investissements nécessaires qui favoriseront un plus large accès des agriculteurs aux engrais et transformeront les systèmes alimentaires nationaux afin qu’ils deviennent plus productifs, efficaces et résilients.
Au-delà de l’aide d’urgence, tous les pays se doivent de ne pas aggraver la situation des pays les plus exposés à une crise alimentaire. Or beaucoup d’entre eux répètent actuellement les erreurs commises en 2008. Pour faire baisser les prix intérieurs, ils imposent des restrictions sur les exportations de produits alimentaires et d’engrais. Début juin, 34 pays avaient procédé ainsi, un nombre avoisinant celui atteint lors de la crise alimentaire de 2008-12. Ces mesures provoqueront inévitablement un effet boomerang : au lieu de baisser, les prix des denrées alimentaires vont flamber (a).
Enfin, pour les pays dont le fardeau de la dette est insoutenable, la restructuration et l’allègement de la dette doivent être une priorité absolue. Un nombre croissant de pays à faible revenu peineront à assurer le service de leur dette cette année. Le cas échéant, le Cadre commun du G20 pour les traitements de dette (a) pourrait leur permettre de demander un allègement de leur dette. À ce jour, seuls trois États ont effectué cette demande, tandis que la lenteur des progrès observés jusqu’ici pourrait dissuader d’autres pays. La Banque mondiale et le FMI ont présenté plusieurs options pour diligenter ces procédures et encourager une plus large mobilisation (a) des créanciers privés.
Les pays les plus pauvres du monde sont aujourd’hui confrontés à des dangers auxquels ils ne s’étaient pas heurtés depuis des décennies. Mais rien n’est plus dévastateur pour les populations les plus démunies que la conjonction d’une crise alimentaire et d’une crise de la dette. Voilà pourquoi les responsables politiques du monde entier ont l’obligation d’agir sans délai et de manière décisive pour éviter cette double crise.
Source : Banque Mondiale