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Mauritanie : grossir à tout prix

lundi 18 octobre 2021


Synonyme de richesse et préalable au mariage, l’obésité féminine a toujours été un critère de beauté pour l’ethnie mauresque de Mauritanie. Si le gavage traditionnel tend à disparaître, les jeunes mauresques de la capitale, Nouakchott, adoptent de nouvelles pratiques extrêmes afin de perpétuer cet idéal. Mais certaines remettent aussi en cause ces normes, dont les répercussions sanitaires et psychologiques sont dramatiques.

« Mon poids n’avait jamais été source de préoccupation quand je vivais au Sénégal. Mais chaque fois que j’étais en vacances en Mauritanie, ma tante m’obligeait à manger, même les restes des garçons. Ici, j’étais considérée comme “maigre”. On disait aux visiteurs que j’étais malade pour justifier mon poids. Je devais grossir pour être belle », se souvient Asma, Mauresque de 25 ans aux origines sénégalaise et mauritanienne.

Comme elle, de nombreuses jeunes mauresques subissent des pressions constantes de la part du cercle familial et amical, mais aussi d’inconnus dans l’espace public qui les incitent à prendre du poids. Car pour l’ethnie mauresque (70 % de la population de la République islamique de Mauritanie), particulièrement les Maures blancs qui constituent l’élite au pouvoir, l’obésité féminine est un critère de beauté. Louées dans la poésie mauritanienne, les formes imposantes ont toujours été pour cette ethnie un synonyme de beauté féminine, preuve de richesse et de bonne santé.

Cet embonpoint est aussi fortement lié à la question du mariage. Autrefois, les jeunes filles étaient envoyées, parfois dès l’âge de 5 ans, dans des camps en région pour y être gavées pendant des mois, avec du lait de chamelle et de la bouillie de mil ingurgités en quantités astronomiques. Transformées, les jeunes filles perdaient rapidement leur apparence enfantine et pouvaient ainsi être mariées.

Prêtes à tout

Si ce gavage traditionnel tend à disparaître, en revanche, les injonctions pour obtenir des hanches rebondies, des fessiers dodus et des bras potelés perdurent. Le proverbe « la femme occupe dans le cœur de l’homme la place qu’elle occupe au lit » reste toujours bien ancré dans les mentalités. Nombreuses sont les jeunes mauresques qui décident de se gaver pour correspondre aux normes de beauté. « Lorsque j’avais 15 ans, tout le monde me disait que je devais grossir, les hommes ne s’intéressaient pas à moi, car j’étais trop mince », explique Zohra mauresque vingtenaire.

Pour mettre toutes les chances de leur côté, les jeunes filles achètent, dans les nombreuses boutiques marocaines de Nouakchott, des tisanes et des suppositoires pour augmenter l’appétit, ou encore des huiles de massage pour développer les rondeurs. Mais faute d’obtenir les résultats promis, les citadines se tournent désormais vers les pharmacies où elles se fournissent en sirops multivitaminés, comprimés à base de corticoïdes ou antihistaminiques qui, lorsqu’ils sont détournés de leur usage initial, entraînent une prise de poids rapide.

Zohra a consommé ces comprimés en cachette sur le conseil d’une amie à l’âge de 18 ans, alors qu’elle subissait les pressions de sa famille et de son futur mari. En deux semaines, la jeune femme a ainsi gagné 20 kilos. « Quand j’ai changé de silhouette, tout le monde m’a complimentée », se rappelle-t-elle. Plus grave, depuis les années 2000, une bombe sanitaire fait fureur parmi les jeunes mauresques de Nouakchott : le « dreug dreug ». Cette pilule, fabriquée en Inde et destinée au bétail, se trouve facilement sur le marché noir à un coût qui varie de 150 à 200 MRU (de 5,25 $ à 7 $). Cela malgré la loi de 2010 qui interdit la vente illicite de médicaments.

De graves répercussions

Les effets de cette course effrénée aux kilos sont dramatiques pour la santé de ces jeunes femmes. « Avec ces médicaments, en trois semaines, tu ne reconnais plus la fille. Elle devient difforme, car seul le haut de son corps se développe », détaille Asma. Gonflement du haut du corps, diabète, maladies cardiovasculaires, risques d’infertilité… les conséquences sanitaires sont nombreuses, allant dans certains cas jusqu’à la mort.

En 2008, l’Association des femmes chefs de famille avait recensé 148 cas de jeunes filles et femmes victimes de gavage traditionnel et moderne, dont 12 sont décédées à la suite de la prise du « dreug dreug ». « Ma copine m’a prévenue qu’avec les comprimés, je pouvais avoir des maux de tête ou sentir mon cœur s’accélérer. C’est une manière facile et rapide de grossir, mais il y a beaucoup d’effets dangereux », témoigne Zohra. Si une minorité ignore les conséquences, la plupart sont conscientes des risques, mais prêtes à tout.

Les sévices sont aussi psychologiques pour ces jeunes filles, coincées entre l’envie d’être conformes aux attentes de la société et leurs souhaits profonds. « Je vois certaines filles qui vont grossir simplement à cause du jugement des gens et pour plaire aux hommes. Tu infliges quelque chose à ton corps pour finir par ne plus être à l’aise dedans », se désole Asma. Beaucoup peinent en effet à accepter ce corps qu’elles ne reconnaissent plus et qui leur donne des complexes. « J’ai commencé à avoir de nombreuses vergetures et un gros ventre. Ça me complexe beaucoup. Si c’était à refaire, je ne prendrais pas de comprimés. Aujourd’hui, je ne me trouve pas très bien », confie Zohra.

Changer les codes

La pratique, interdite par le gouvernement mauritanien au début des années 2000, a fait l’objet de campagnes de sensibilisation, notamment à la télé. Mais les mentalités peinent à évoluer dans cette société très traditionnelle. Malgré la difficulté de s’affranchir de ces critères très ancrés, de jeunes femmes tentent de faire bouger les choses. « Je ne veux pas rentrer dans ce cercle sans fin, où l’on se perd entre toutes les injonctions à suivre. Cela détruit notre confiance en nous. Je ne veux pas remplir les cases », revendique Asma, dont la famille a cessé les remarques sur sa silhouette.

Selon Nawa, elle aussi dans la vingtaine, « partout dans le monde, la vision des femmes sur leur corps est dictée par la société dans laquelle elles vivent : la femme est obligée de se conformer à ce que l’on attend d’elle. Mais nous devons pouvoir être nous-mêmes et faire nos propres choix ». Signe de cette évolution, depuis les années 2000 et avec l’ouverture de salles de sport à Nouakchott, de plus en plus de femmes autrefois sédentaires font désormais de l’exercice physique. Conscientes des bénéfices pour leur santé et désireuses de garder la forme, elles souhaitent se réapproprier ces précieuses rondeurs… qui sont les leurs !

Source : Gazette des Femmes